STRAGEGIE DE TERRITOIRES

Des stratégies d’alliance multi-échelles

Alors que se sont tenues les Assises de l’acte III de la loi sur la décentralisation, il est frappant de constater que nombre d’élus de villes moyennes vivent la structuration des pôles métropolitains en France comme une menace directe pouvant peser sur leur propre développement. Ceci est vrai en Bretagne, mais aussi dans des régions comme l’Aquitaine ou Midi-Pyrénées. Pourtant, à l’échelle de l’espace communautaire européen, un territoire comme celui de Loire-Bretagne est le niveau de structuration pertinent, seul susceptible de conférer au Grand Ouest la visibilité qui lui manque à l’échelle européenne. Or, penser à l'échelle interrégionale implique de gagner un véritable pari, celui du maillage métropoles - villes moyennes – territoires ruraux, dans un ensemble équilibré et cohérent. Et il est urgent de le gagner si l’on en croit le géographe Christophe Guilluy qui dénonce une nouvelles géographie sociale au sein de laquelle s’édifie, à bas bruit, une « contre société »[1].À partir de l'exemple breton, c'est la place des villes moyennes dans cet enjeu, et ce défi, c'est la recherche d'un modèle qui leur permette de jouer pleinement le rôle qui leur revient, qui constitue l'objet de cet article[2].

Concernant l’articulation métropoles – villes moyennes en Bretagne, trois scénarii sont possibles. Le premier aboutit au modèle que l’on connaît en Midi-Pyrénées, c.-à.-d. une métropole très active entourée d’un « désert » économique. Cette hypothèse est peu probable car elle est contraire au modèle polycentrique breton. Le second est qu’en réaction à une structuration métropolitaine, les villes moyennes se lancent chacune dans une compétition acharnée pour tenir leur rang ; le corollaire serait, sans surprise, un épuisement des ressources et un développement régional incohérent. Le troisième serait qu’émerge dans les territoires, chez les élus, une volonté politique forte pour mener une stratégie de coopétition, surpassant les concurrences et s’appuyant sur leurs complémentarités. Ce troisième scénario présente l’avantage de respecter les stratégies de chaque bassin de vie, tout en faisant émerger des synergies issues des complémentarités existantes, y compris bien sûr avec les métropoles d’influence. Pour que ce dernier scénario émerge, pour qu'il soit porteur du développement dans nos territoires, trois facteurs sont indispensables : une volonté politique des élus concernés, l’implication forte des réseaux d’entreprises et un réseau opérationnel pour la formation et la R&D&I technologique et organisationnelle.

Réseau Villes Moyennes Bretagne 

Schéma possible d’un réseau métropoles-villes moyennes dans le Grand Ouest

 Regardons donc à l’Ouest, la Bretagne et son ouverture au monde. Maillage territorial et modèle polycentrique breton se répondent l’un l’autre. Qu’émergent ces temps-ci des échanges vigoureux autour de la complémentarité entre métropoles et villes moyennes du GO est significatif. Quand Bernard POIGNANT, président de Quimper Communauté, s’écrie : « Rennes, Nantes, retournez-vous, la Bretagne est derrière vous ! » il ne fait rien d’autre que d’affirmer le rôle complémentaire, stratégique, que doivent nécessairement jouer les villes moyennes et les territoires ruraux dans l’économie globale du territoire. En effet, baser une stratégie régionale uniquement sur une dynamique métropolitaine serait une grave erreur car elle se priverait de l’apport significatif à « l’effort de guerre » économique qui provient des 80% des PME et PMI distribuées sur l’ensemble du territoire et, ce qui serait un comble, n’inclurait pas les 2,5 M[3] de bretons  ne vivant pas dans les sphères d’influence des deux métropoles régionales ! 

Les bases du réseau

Les bases nécessaires pour concevoir un réseau de villes moyennes portant une stratégie complémentaire au développement métropolitain sont de trois ordres : les collectivités, les entreprises et leurs réseaux, les centres de formation et de recherche. Ces réseaux d’acteurs doivent pouvoir s’appuyer sur des infrastructures existantes ou à concevoir sans oublier le rôle structurant joué par le monde associatif. En Bretagne, on pense bien sûr au réseau Très Haut Débit, déjà présent à travers le C@mpus numérique de l’Université Européenne de Bretagne (le Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur breton), qui dessert l’ensemble des sites du supérieur et sera accessible au secteur privé d’ici 2017. On pense à Bretagne Grande Vitesse qui touchera Vannes, Lorient, Quimper et St-Brieuc, même si les liaisons infrarégionales rapides, notamment Nord-Sud, attendent toujours.

Un tel réseau n’est légitime que s’il aide chaque territoire à mieux former ses jeunes, à dynamiser le développement et donc l’innovation de ses entreprises, à ouvrir des perspectives à l’international et bien sûr, plus globalement, à accroître son attractivité. Une ville moyenne, quel que soit son dynamisme, peut-elle porter seule une telle ambition ? La question est posée. Elle est posée en Centre Bretagne par le Comité d’Orientation Stratégique de Pontivy-Loudéac qui contribue à faire émerger un « Campus Bretagne Centre » regroupant onze établissements et près de 1 000 néo-bacheliers avec un site universitaire en appui pour la R&D, le transfert technologique et la recherche partenariale. Elle est posée à Saint-Brieuc, où un plateau de formation est en voie de structuration. D’autres initiatives émergent… Elles répondent toutes au souhait et à la conviction qu’il importe de construire l’avenir du territoire en lien étroit avec un contexte très évolutif. Si ces initiatives locales sont à saluer, il faut noter, qu’à ce jour, elles ne sont ni concertées, ni interconnectées, et donc fragiles.

S'ajoute à tout ceci la dynamique mise en œuvre pour élever le développement au niveau interrégional – avec les Pays de la Loire bien sûr, mais aussi avec la Basse-Normandie–, afin de donner à la Bretagne la visibilité nationale et internationale qui lui fait encore défaut. D'une manière générale, le Grand Ouest est trop souvent absent des projets nationaux d’envergure, alors que sa péninsularité pourrait être tournée en atout géopolitique. La réflexion prospective « Bretagne 2030 », lancée par le président de Région en 2012, constitue une opportunité pour se projeter. À l’instar du sursaut du monde agricole dans les années '60, dont le mot d’ordre était « Il nous faut grandir ou partir », les villes moyennes bretonnes doivent se forger une stratégie pour grandir si elles veulent éviter le risque de se voir cantonnées au seul rôle de suiveur, d’appui logistique au service des métropoles…

 [1]Exclues, les nouvelles classes populaires s’organisent en « contre société ». Christophe Guilluy, Le Monde.fr, 19/02/2013

[2] La suite de ce chapitre a fait l’objet d’une publication dans Pouvoirs Locaux, (2012) 95, 15-21.

[3] La Bretagne compte au total 3,1 M d’habitants (INSEE 2011).